Association des Familles Cliche (AFC)


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Histoire de l'ancêtre Nicolas Cliche et de son épouse Marie-Madeleine Pelletier


Cette biographie de l'ancêtre Nicolas Cliche et de son épouse Marie-Madeleine Pelletier est un résumé des chapitres 2, 3 et 4 du tome 1 de Histoire et généalogie des familles Cliche, de l'auteur Marcel Cliche, publié à l'automne 2006.  Ceux et celles qui s'intéressent à l'histoire de la famille Cliche et aux familles alliées peuvent se procurer cet ouvrage en se référant à la page Publications et articles-souvenir. (cliquez ici)
 

Sommaire

Naissance de Nicolas Jeunesse et adolescence Départ pour l'Amérique Québec:
1671-1675
Nicolas se marie Les belles années
Les temps difficiles La famille Marie-Madeleine:
un nouveau foyer
La fin de Marie-Madeleine Annexe 1: Nicolas  parlait le c'hti Annexe 2: Mort de la variole






La naissance de Nicolas

Nicolas Cliche, l’ancêtre de tous les Cliche d’Amérique, est né le 8 juillet 1645, dans la paroisse Saint-Jean de Saint-Quentin, évêché de Noyon, en Picardie, France. Il est le fils unique d’un premier mariage de Nicolas Cliche et de Catherine Poette. Lorsque son père contractera un second mariage avec Marguerite Bauny, le couple aura trois enfants : Paul, né en avril 1652, André, né vers 1662, et Jeanne, qui a épousé Pierre  Lobert, le 7 février 1684, à l’église de la paroisse Saint-Jean.

Au temps des Nicolas, père et fils, (env. 1620–1671), les Cliche de Saint-Quentin semblent former deux clans qui gravitent autour de quatre paroisses, Saint-Thomas, Sainte-Marguerite, Saint-André et surtout Saint-Jean, toutes à proximité de la Collégiale. Cependant il semble qu'il faille rechercher vers l'est les origines du paternel de Nicolas et son ascendance plus lointaine, grand-père, arrière-grand-père, etc. De l'est vers l'ouest, entre Vervins et Saint-Quentin, distancé de 50 km, des Cliche ont été signalés dans douze communes de la Thiérache dans la première moitié du 17e siècle dont Chigny, Marly-Gomont, Autreppes, St-Algis, Wiège-Faty, Fontaine-lès-Vervins, Haution et Le Hérie-la-Viéville. À celles-ci s'ajoute le village de Bernot plus à l'ouest.

LES POETTE
 
La mère de Nicolas, Catherine Poette, vient d'une famille qui présente des similitudes avec les Cliche. Les cinq actes les plus anciens sur les Poette ou Poete, à l'exception d'un à Montreuil-aux-Lions, furent relevés dans les paroisses Saint-Jacques, Saint-Martin et Saint-Jean de Saint-Quentin.
Les Poette sont plus nombreux et presque entièrement concentrés en Picardie au 17e siècle. Ils ont sûrement eu de l'influence dans leur cité puisqu'une rue portera leur nom. Sur les soixante-douze Poette répertoriés dans l'Aisne, entre 1620 et 1904, soixante-six se situent dans des communes à moins de 10 km de Saint-Quentin.

ACTE DE BAPTÊME DE NICOLAS CLICHE
Bapteme
Le  huitième  jour  de  juillet  mil  six  cent  quarante  cinq  fut
baptisé  Nicolas  fils  de  Nicolas  Cliche  et  de  Catherine  Poette
 sa  femme  furent  ses  parrain  et  marraine  Pierre  Cliche  et
Antoinette  Lalouette  femme  de  Jean  Leroy.




La jeunesse et l'adolescence

La pénombre enveloppe ses vingt-six années comme citoyen de Saint-Quentin, mais l'histoire de la ville permet d'imaginer le passé de Nicolas. Un document unique, le plan de Saint-Quentin en 1557, lithographié au XIXe siècle par Édouard Cliche, reproduit dans ses grandes lignes la ville telle qu'elle était au temps des Nicolas, père et fils. L'aspect et le développement du bourg sont restés les mêmes du XIIIe  siècle jusqu'au lendemain de la Révolution (1789). La ville comptait déjà à l'époque médiévale de sept à huit mille habitants.

Six portes donnaient accès au bourg. Les Cliche vivaient au nord-est de la cité, dans la paroisse Saint-Jean, à l'intérieur des remparts. Le faubourg du même nom, «essentiellement agricole» était hors les murs et la communication entre les deux s'effectuait par la Belle-Porte qui menait à un donjon flanqué de quatre tourelles. Elle devint la porte Saint-Jean à cause de sa proximité avec l'église Saint-Jean, où Nicolas est monté sur les fonts baptismaux, et de la voie qui la traverse, la rue Saint-Jean (aujourd'hui Raspail). Le chemin qui la prolonge conduit à Cambrai et par une bretelle à sa droite, au Cateau-Cambrésis, deux foyers de porteurs du patronyme Cliche à partir des 18e et 19e  siècles.

En juillet 1645, le mois même de la naissance de Nicolas, trois cents Saint-Quentinois dirigés par leur gouverneur repoussent les ennemis (Espagnols) qui ravagent le comté. L'année suivante une émeute éclate. Le sang coule. Les bourgeois s'opposent à un impôt, nommé la taxe des aisés.

Nicolas, enfant et adolescent, n'a pu manquer les visites du roi Louis XIV, le Roi Soleil, en 1654, 1657, 1670 et 1671, la misère «effroyable» des années 1650 à 1656 provoquée par les passages des armées et les dévastations des campagnes jusqu'aux fossés de la ville,  les manifestations de joie à l'occasion de la signature du traité des Pyrénées avec les Espagnols, en 1659, qui amène une paix durable et la reprise de l'essor économique au même niveau qu'avant le siège de la ville en 1557. Il voit aussi la reconstruction des fortifications de la ville selon les plans du célèbre architecte militaire, Vauban. Dans sa jeunesse, il a peut-être participé à la course annuelle du mardi gras qui se tenait dans les Coutures, les terres agricoles au-delà de la porte Saint-Jean, donc tout près du foyer de ses parents. Il a sans doute été témoin de l'incendie du 14 octobre 1669 qui détruisit les deux clochers, les orgues et la toiture de la nef de la collégiale.

Si Nicolas retournait dans sa ville aujourd'hui, il se reconnaîtrait par la géographie des lieux, des détails topographiques, la disposition des places, des rues et des monuments. Même si elle a été détruite à près de 80% lors de la grande guerre (1914–1918) et que ses remparts ont été enlevés en 1801, la configuration du Vieux Saint-Quentin est restée sensiblement pareille.

 
Saint-Quentin:

La Place de l'Hôtel de Ville


Le départ pour l’Amérique

Nicolas vient d'atteindre 25 ans, lorsqu'il décide de partir pour le Nouveau Monde. Il a sûrement l'expérience du travail. Fut-il arquebusier, ouvrier de fabrique, laboureur ou manouvrier (journalier) dans la cité ou dans les champs de lin qui l'entourent? Le contrat d'engagement pour l'Amérique, s'il y en a un, pourrait éclairer notre lanterne.

À l'hiver 1671, Nicolas s'affaire aux préparatifs pour le départ. Il doit prévoir le temps nécessaire sans oublier les imprévus pour se rendre au port d'embarquement, probablement le port de Dieppe, le plus rapproché de Saint-Quentin et un port d'embarquement important pour les vaisseaux à destination de la Nouvelle-France, au XVIIe siècle.

Le site de l'Association des familles Bérubé inc. identifie ce bateau. Il s'agit du «Saint-Jean-Baptiste», un vaisseau de 300 tonneaux qui, selon les archives de Dieppe, transportait quatre ouvriers, ainsi qu'une centaine d'hommes et vingt-six «Filles du roi». Il lève l'ancre à la fin juin et il est presque certain qu'il a embarqué l'ancêtre des Cliche. Ce voilier dirigé par le capitaine Pierre Lemoyne n'en est pas à son premier voyage en Amérique; il est signalé en 1664.

La traversée de l’Atlantique au 17e siècle présente de multiples dangers et bien peu de plaisir. La durée est imprévisible, de 20 à 100 jours. Les tempêtes, les naufrages, la maladie et la mort guettent les prisonniers de ces boîtes d’allumettes ballottées par des vagues sournoises. Vers la mi-août 1671, le Saint-Jean-Baptiste arrive en face de Québec et jette l’ancre dans le port du Cul-de-Sac à quelque distance du rivage.


Québec 1671-1675

Lorsque Nicolas met pied à terre à Québec en 1671, ça ne fait que 37 ans que la colonisation du Canada est réellement commencée. Même si Québec a été fondée par Champlain en 1608, la prise de Québec par les Anglais en 1629 remet tout en question. Il faut repartir pratiquement à zéro, après leur départ, le 13 juillet 1632. L’arrivée de Robert Giffard, en mai 1634, avec plusieurs colons recrutés au Perche (Cloutier, Guyon (Dion), Langlois, Boucher, Giroux, etc.) marque les véritables débuts du peuplement de la colonie.

Nicolas doit s’adapter à la ville et au pays. A-t-il un contrat d’engagement ou est-il recruté sur place? Aucun document ne tranche ces questions, mais nous savons qu’il a été engagé à titre de domestique par Nicolas Gauvreau, maître arquebusier, armurier et même serrurier.  Les conditions d’engagement doivent ressembler à celles du domestique précédent, Henri Piot, c’est-à-dire logement, nourriture et quarante-six livres de gages. Il doit servir son maître  «et faire tout ce que peut et doit faire un bon et fidèle domestique selon ses forces sans pouvoir s’absenter pendant tout le temps de son engagement». La durée de l’emploi semble plus flexible que pour les apprentis et les gens de métier qui sont sous le régime des 36 mois.

Est-ce  la servitude qui ne lui convient pas, la rigueur du climat, la vie à Québec, la nostalgie du pays d’origine, l’ennui ou l’attirance de la vie libre des coureurs des bois qui l’ont poussé à commettre un geste illégal? Après huit mois de service, Nicolas prend la poudre d’escampette. Laissons la personne lésée décrire le crime commis dans la requête à Monseigneur l’intendant, le 20 mai 1672: «suppliant humblement Nicolas Gauvreau, maître armurier de cette ville disant qu’il y a quinze jours que les nommés Claude Couturier et Nicolas Clisse, des domestiques se seraient (évadés ?) de son service et accompagnés de trois hommes se seraient embarqués dans un canot pour aller à l’Isle de Percé après avoir pris cinq fusils dans la boutique…». Les relations du patron avec ses nombreux employés, domestiques et apprentis, sur plusieurs années, semblent irréprochables. D’ailleurs, il affirme dans la requête  «qu’il n’a jamais donné aucun subjet aux dits Couturier et Clisse de le quitter et de déserter de cette manière».

Sachant que ses serviteurs ont été faits prisonniers à Percé et ramenés à Québec, il demande à l’intendant de rendre justice, en les obligeant à payer les journées perdues et à remettre les fusils pour qu’ils soient «rendus aux particuliers à qui ils appartiennent».

Le document qui rapporte la fuite de Nicolas est très important pour l’histoire des Cliche parce qu’il constitue la première mention de la présence de l’ancêtre dans le Nouveau Monde. Il confirme aussi, hors de tout doute, son arrivée en 1671. Il s’agit bien de notre Nicolas, même si l’orthographe est Nicolas Clisse que l’on reverra dans d’autres documents.

Malgré la faute commise par Nicolas, un maître acceptera de lui montrer un métier. Selon la coutume et les règles du temps, il est fort possible qu’il soit retourné chez les Gauvreau pour payer sa dette. Une chose est certaine, il s’est amendé et raccommodé avec ceux-ci. L’artisan se retrouve dans le petit groupe des parents et amis rassemblés, lors de la rédaction du contrat de mariage, le 2 septembre 1675. Il laisse sa signature au bas du parchemin. Son épouse, en plus d’être la sage-femme, sera la marraine du premier bébé des Cliche.

Nicolas apprenti serrurier doit gagner la confiance de son maître et respecter les règles d’apprentissage du métier. Contrairement à la France où la maîtrise s’obtient par la production d’un chef-d’œuvre après les stages d’apprentissage et de compagnonnage (apprenti–compagnon–maître), en Nouvelle-France, l’intendant Jean Talon a supprimé des étapes. Il accorde la maîtrise à «toute personne ayant pratiqué un métier pendant six ans sans interruption» ou après trois ans ou plus d’apprentissage auprès d’un artisan.

Les quatre premières années de Nicolas à Québec s’écoulent surtout dans les rues Sous-le-Fort et de la Fontaine de Champlain, où se concentrent les gens de métier qui y tiennent boutique, y compris Nicolas Gauvreau et Jean Amiot, ses maîtres et amis.

 
Plan de Québec au temps de Nicolas
A. Le port  
B. Le Cul-de-Sac
C. Plate-forme
D. La place Royale
E. Le fort Saint-Louis
F. Maison Louis Jolliet
G. L’évêché
H. Le cimetière
I. Le château Saint-Louis
J. Les Ursulines
K. Maison Hazeur
L. Maison La Chesnaye

M. Les Jésuites
N. Les classes du Séminaire
O. Cathédrale Notre-Dame (approximatif)
P. Vieux Séminaire
Q.Séminaire neuf (approximatif)
R. L’Hôpital (Augustines)
S. Côte-de-la-Montagne
T. La fontaine de Champlain
U. Maison Nicolas Cliche
V. Maison Jean Amiot
Source : Luc Noppen, Claude Paulette et al., Québec, trois siècles d’architecture, Libre Expression, 1979.




Nicolas se marie

Nicolas est Français, mais les quatre années à respirer l’air du Nouveau Monde l’ont changé. Il s’est imprégné du milieu et il s’est adapté au pays et à la ville. Il a pris du galon par la maîtrise d’un métier noble et en gagnant l’amitié et la confiance de nombreuses personnes. Parmi celles-ci, le couple Jean Amiot et Marguerite Poulin qui lui présentera Marie-Madeleine Pelletier et répondra de lui devant les parents de cette dernière, Georges Pelletier et Catherine Vannier, qui habitent Saint-Anne-du-Petit-Cap.

Maître ou pas de Nicolas dans l'apprentissage de son métier de serrurier, Jean Amiot, avec l'aide de son épouse Marguerite Poulin, joue un rôle important dans la romance de Nicolas et de Marie Madeleine. Leur signature au bas du contrat de mariage de Nicolas révèle leurs liens d’amitié. Par ailleurs, Georges Pelletier et son épouse étaient des amis de Claude Poulin et assistaient au mariage de la fille de ce dernier avec Jean Amiot en août 1673. De plus, Marie-Madeleine Pelletier et Marguerite Poulin étaient du même âge et se tenaient souvent ensemble. Elles se retrouvent en même temps au pensionnat des Ursulines à Québec. Marie Madeleine y passe trois mois, du 20 mai 1669 à la fin d’octobre, tandis que Marguerite y étudie 6 mois, du 9 juin 1669 à février 1670.

Le couple Pelletier-Vannier donne son consentement et, le 2 septembre 1675 à Québec dans la maison de Jean Amiot, les parents, les amis et les témoins rassemblés se présentent devant le notaire Pierre Duquet pour la rédaction du contrat de mariage.

Marie-Madeleine est née le 6 août 1658; elle a donc 17 ans lors de son mariage, tandis que Nicolas est âgé de 30 ans. Ce mariage aura lieu le dimanche 13 octobre 1675, en l’église de Sainte-Anne-de-Beaupré. L’union a été bénie par le prêtre missionnaire François Fillon. À l’exception des époux et de leurs parents, cinq personnes sont mentionnées sur l’acte de mariage : Guillaume Morel, fraîchement arrivé et futur beau-frère des mariés, Robert Foubert, voisin des Pelletier, du côté est, et François Ringault, témoin mystérieux connu seulement par ce document, et le prêtre F. Fillon.   


ACTE DE MARIAGE DE NICOLAS CLICHE ET DE MARIE-MADELEINE PELLETIER

Actemariage
L’an de N. Seigneur, gbic. septante et cinq [1675]; le
treize d’octobre; après les trois publications de bans
de mariage, ne s’étant trouvé aucun empeschemt.
j’ay pretre soussigné faisant les fonctions Curiales
en cette Église, recu le mutuel consentement
d’icelui, de Nicolas Cliche, fils de Nicolas Cliche
et de Catherine Poëte ses pere et mere de la paroisse
de St. Jean Evesché de Noyon, d’une part; Et de
M. Madelaine pelletier, fille de Georges pelletier
et de Catherine Vannier de cette paroisse d’autre
part; et ce dans les formes et ceremonies ordinaires
de la Ste Eglise, en présence de Guillaume Morel,
Robert Foubert et françois ringault. Signé F Fillo
n
pretre Missionnaire.
    Morin ptre



 
Les belles années (1675 - 1681)

Nicolas et Marie-Madeleine, heureux et pleins d’espoir dans la chaloupe qui les ramène de Sainte-Anne à Québec, ont hâte de se retrouver dans l’intimité de leur foyer. Ils avaient tout prévu car le 8 septembre 1675, un mois avant le mariage, Nicolas avait loué d’un bourgeois de la Basse-Ville, Noël Pinguet, la moitié d’une maison pour un bail de deux ans «avec la cave au-dessous et le grenier au-dessus, aprendre joignant Robert Paré jusqu’à la clouaison qui sépare ladite maison présentement en l’estat ou elle est, Et aussi du haut en bas».

C’est dans cette demeure que les Cliche passeront les cinq premières années de leur vie de couple. Nicolas renouvelle le bail pour trois ans, le 5 septembre 1677, à 100 livres par année. Leur logement se situe exactement là où Québec est née. Il aurait donné sur l’Habitation de Champlain, transformée par la suite en magasin du Roy, et tout près de la Chapelle et du logis des Récollets, les premiers missionnaires en Nouvelle-France, arrivés en 1615. De 1675 à 1680, ils sont en face de la place du marché, dans le quartier des brasseurs d’affaires, marchands et négociants, et dans le voisinage des rues Saint-Pierre, Sous-le-Fort et Cul-de-Sac qui regroupent plusieurs artisans.
 
- TRAVAIL ET VIE COURANTE

Il n’y a pas de doute, Nicolas vit de son métier de serrurier. Tous les contrats accolent sa spécialité à son nom, mais aucun ne décrit le travail exigé par ses employeurs parce que les ententes sont verbales. Il existe cependant un document judiciaire qui en parle directement.  Il comparaît devant la Prévôté de Québec, le 13 novembre 1676. Jean Soulard, maître armurier et arquebusier, se présente au tribunal en prétendant que Nicolas Cliche (Clisse dans l’acte) n’a pas rempli correctement le contrat qu’il lui a octroyé dans la construction d’une résidence au Cul-de-Sac, sur le site de l’actuelle maison Chevalier. «Les partyes ouyes» [entendues], le défenseur, Nicolas, est tenu de ferrer trois portes et de les faire fermer par de bonnes serrures vérifiées par des gens experts et connaissants. Le devis de cette besogne sera exécuté par Nicolas Gauvreau, nommé d’office par le tribunal. Ce jugement est intéressant parce qu’il confirme que le serrurier ne fait pas que des serrures.

Trois mois auparavant, le 17 juillet 1676, devant la même cour, il a gain de cause dans une affaire de cordes de bois. Louis Lefebvre dit Battenville lui paye six francs pour une corde de bois qu’il avoue lui devoir. Nicolas Cliche est convoqué à nouveau devant la Prévôté, le 21 juin 1679. Il fait partie de l’assemblée des amis de Nicole Flamant et de feu Louis Leparc dit Saint-Louis. Ils doivent délibérer sur la requête de la veuve, qui demande au tribunal, la permission de vendre leur emplacement, la petite maison et la quatrième partie d’une habitation sur ledit terrain avant de retourner en France. Elle reçoit l’autorisation de vendre, mais d’abord de payer les dettes de la communauté et que le surplus « soit mis entre ses mains lors de son départ pour la France».

Enfin, il est témoin dans une affaire criminelle qui nécessite un procès de plusieurs mois en 1680-1681, soit celui de Sébastien de Rosmadech dit Lachenaye Courtebotte, matelot, natif de Vannes en Bretagne. Il est accusé du vol de barres de fer chez le marchand François Hazeur, de la Basse-Ville. Il les offre à tous les artisans spécialisés dans les métiers du fer, à des prix suspects. Ce procès fut une bénédiction pour les Cliche parce qu’il a révélé la place natale de l’ancêtre, la ville de Saint-Quentin, en Picardie.

Par ailleurs, deux actes prouvent qu’il a fait appel à des ressources extérieures dans l’exercice de son métier. À l’été 1679, Jean Guiet (Guay) et Jeanne Mignon de la seigneurie de Lauzon,  choisissent Nicolas pour enseigner la serrurerie à leur fils de 14 ans, Jean Guiet. Le jeune apprenti ne fait pas long feu, il se blesse et sa mère, s’appuyant sur la confirmation d’un chirurgien, en profite pour mettre fin à cette association, le 7 décembre 1679.

Ayant réellement besoin de main-d’œuvre, il se tourne vers un jeune maître armurier serrurier, Nicolas Pré, frais émoulu d’un apprentissage de trois ans dans l’atelier de Nicolas Gauvreau. Le 2 avril 1680, il s’oblige à servir et à travailler de son métier pour une durée de six mois consécutifs à compter de ce jour. Maître Cliche s’engage à le nourrir, le loger, le traiter humainement, lui fournir les outils et un salaire de 40 livres pour cette période.

Il existe suffisamment de documents pour affirmer que les affaires roulent bien dans les six premières années de la vie du couple Nicolas Cliche et Marie Madeleine Pelletier. Durant cette période, le couple a quatre enfants, dont nous reparlerons plus loin. Nicolas parvient à subvenir aux besoins de la famille et fait régulièrement les paiements pour son loyer aux Pinguet et même loue la maison de Robert Paré, le 5 septembre 1677, peut-être pour y installer une forge.

- UN FOYER BIEN À SOI

Cependant Nicolas et Marie-Madeleine rêvent d'avoir un foyer bien à eux. Nicolas achète un emplacement de vingt-huit pieds de front qui donne sur le quai de Québec, le 16 avril 1678. Pour être plus précis, il se localise dans le corridor «allant du cul de sacq à la fontaine de Champlain». Le terrain doit être pris au-dessus de la haute marée et sur la profondeur, il se rend jusqu’à la «coste» du cap aux Diamants. Ce marché se transige avec Philippe Gaultier, sieur de Comporté, un noble poitevin arrivé au Canada avec le régiment de Carignan-Salières, en 1665. Il deviendra par la suite un fonctionnaire important dans la colonie. Il avait reçu ce lopin de terre avec une plus grande étendue de l’intendant Jean Talon, le 7 novembre 1672. Nicolas accepte les conditions de la transaction : le prix de 200 livres qu’il versera sous forme de rente annuelle de 10 livres, et l’obligation de construire une habitation avant deux ans.

À l’hiver 1679-1680, la charpente de la maison du Cul-de-Sac s’élève et, le 4 avril 1680, Nicolas retient les services de Louis et Sylvain Duplais, l’oncle et le neveu, originaires du Berry, maçons reconnus pour leur compétence, pour faire toute la maçonnerie «pour et moyennant la somme de quatre livres et cinq sols pour et par chacune toise [une toise = 6 pieds] de la muraille qu’ils feront en ladite maison et pour leur travail seulement». Ils taillent eux-mêmes les pierres de coin de la maison et s’ils taillent les pierres de la cheminée, ils recevront un supplément monétaire. L’échéance de cet ouvrage est fixée au vendredi 9 août 1680.

Coup de théâtre: les Cliche n’habiteront pas le Cul-de-Sac! Nicolas échange l’emplacement, la charpente de la maison et des matériaux de construction au Cul-de-Sac pour un emplacement plus vaste de quarante pieds de front par trente pieds de profondeur, avec aussi une charpente de maison, au-dessous du château Saint-Louis, dans la rue allant de la basse ville à la haute ville, c’est-à-dire la côte de la Montagne. Cet échange s’effectue, le 15 mai 1680, avec le maçon André Couteron, très actif dans les transactions immobilières: terres, emplacements et maisons. Le marché étant plus avantageux pour Nicolas, il verse une compensation de 40 livres qu’il aura acquittée en septembre 1680.

Les maçons Duplais suivent leur employeur et posent les pierres de la nouvelle résidence, pour laquelle ils lui donnent quittance de 34 toises, le 9 août. Ça signifie que Nicolas les a payés pour 34 toises, soit 144 livres et 10 sols au tarif déjà entendu entre eux. Il reste la couverture et les lucarnes qu’il confie, le 18 juillet 1680, à Pierre Gacien dit Tourangeau, couvreur d’ardoises et de bardeaux. Celui-ci promet et s’oblige à faire tous les travaux et à fournir tous les matériaux, clous, bardeaux de cèdre et d’épinette, à l’exception des planches pour les trois lucarnes, deux du côté de la côte de la Montagne et l’autre qui donne sur le fort. Il fixe le tarif à cinq livres et cinq sols pour chaque toise de couverture «faicte et parfaicte».

Les Cliche changent de statut à la fin de l’année 1680. Ils passent de locataires sur la rue Notre-Dame à propriétaires sur la rue Côte-de-la-Montagne. Où se situe-t-il dans la côte ? Les constructions dans la partie haute, en face du parc Montmorency aujourd’hui, auraient commencé autour de 1675, mais ce chemin doit être travaillé pour recevoir des édifices : «on aménage l’espace nécessaire en minant, creusant, vidant, déblayant et remblayant le sol ; les accidents du chemin sont nivelés, les courbes redressées et adoucies. On doit bâtir des murs de soutènement, dont certains fort hauts».

Ils ont comme voisin, un bourgeois avenant, Nicolas Rousselot dit LaPrairie qui serait peut-être le premier à s’être construit dans la pente, en 1676. Il constate que le coin de la maison des Cliche empiète d’un pied sur son terrain. Il règle à l’amiable devant le notaire Rageot, le 4 novembre 1680, en faisant un échange de bout de terrain. L’autre voisin pour un certain temps, se nomme Jean Levrard, canonnier, qui fait vider une place de 24 pieds sur 24 pieds pour édifier en 1682, une maison en pierre et maçonne vers le haut de la côte. Cette information est importante parce qu’elle situerait le domicile de l’ancêtre plutôt dans le haut de la colline, donc à proximité de la Haute-Ville.

Un document du 17 janvier 1688 indique qu’il y a une boutique attenante à la demeure, et une concession de Louis de Buade, comte de Frontenac, conseiller du Roi, gouverneur et lieutenant général pour Sa Majesté en Nouvelle-France, à Nicolas Cliche, ajoute un jardin et une cour à leur domaine.

La maison de la côte de la Montagne est toujours demeurée dans les mains de Nicolas, et après son décès, Marie-Madeleine Pelletier la conserve, contrairement à ce qui a été écrit dans une biographie de l’ancêtre des Cliche. Vingt ans après sa mort, le 5 août 1707, Jean Maillou, reçoit une quittance de M. Duplessis, pour l’achat, lors d’une vente aux enchères, d’une maison rue de la Montagne, appartenant à Nicolas Cliche, débiteur de feu M. de La Chesnaye. La nièce de Jean Maillou, Marie-Josephte Dubois, épousera Claude Cliche, fils de Nicolas, en 1728.

Cet épisode heureux et bien rempli se termine par un événement sans rapport avec l’immobilier. Nicolas Cliche de l’évêché de Noyon, se fait imposer les mains, dessiner sur le front une onction en forme de croix avec le saint chrême et, peut-être, supporte une petite tape sur la joue, de l’évêque de Québec, qui lui administre le sacrement de Confirmation, le 26 août 1681.





Les temps difficiles (1682-1687)


Le clan de Nicolas loge dans une belle résidence en pierre, à deux étages, avec lucarnes, sur la Côte-de-la-Montagne. Elle donne au maître du logis une stature de bourgeois mais, pour y parvenir, il a dû emprunter d’un compatriote picard, Charles Aubert de La Chesnaye, l’homme d’affaires le plus important du 17e siècle en Nouvelle-France et, en quelque sorte, la Caisse Populaire de son époque.

Le notaire Romain Becquet se rend à la luxueuse demeure du sieur Aubert, coin Sault-au-Matelot et Côte-de-la-Montagne (elle valait 21 000 livres tournois en 1665), pour rédiger les arrangements entre Nicolas, son épouse et le marchand, le 7 février 1682. Le couple doit 1 400 livres qu’il s’engage à rembourser par une rente annuelle de 70 livres. Selon un mémoire écrit par Guillaume Morel, beau-frère de Nicolas et du Frère Didace, qui a pour titre «Discussion des biens immeubles de feu Georges Pelletier et Catherine Vannier», la dette est encore plus élevée. Il l’évalue à deux mille deux cents livres; une somme considérable si on tient compte que «le salaire du 1er conseiller au Conseil Souverain était de 300 livres par année». Pensez aux gages de quarante livres de Nicolas Pré, pour six mois de travail en 1680.

Le manque d’argent chronique empoisonne la vie de la famille à partir de 1682. Georges Pelletier s’empresse de compléter la somme promise en héritage, au mariage de sa fille en 1675. Le 7 septembre 1682, Nicolas reconnaît avoir reçu le plein montant de 200 livres. Cela est insuffisant. Toute la belle-famille, Georges, le Frère Didace et Guillaume Morel, se concerte pour dénicher des ressources financières, sans doute plus pour aider Marie-Madeleine, les petits-enfants, neveux et nièce que pour Nicolas qui est probablement en partie responsable de cette situation précaire.

Didace mène la campagne de financement. Il paraît clairement qu’il commande le respect, et qu’on est porté à lui obéir. Il faut encore une fois s’inspirer des textes de Guillaume pour comprendre les malheurs de Nicolas et la générosité des Pelletier. Le frère Récollet et Nicolas se sont présentés chez le père et le beau-père pour le persuader de faire quelque chose pour le libérer des griffes du sieur de La Chesnaye qui l’a fait saisir deux fois. Il s’adresse à sa communauté. Les Récollets n’ayant pas d’argent suggèrent des arrangements qui ne sont pas retenus par le créancier. Guillaume souligne aussi que Georges a vainement cherché son gendre dans la ville à cause de la mauvaise conduite de Cliche sur la boisson. Il reproche à son beau-père, qu’il appelle «le bon homme» de n’avoir même pas songé à lui faire une réprimande.

Un contrat incomplet, passé entre le 15 mai et le 24 juin 1683, semble indiquer que les Jésuites ont prêté de l’argent aux Cliche.

A-t-on jugé trop sévèrement l’époux de Catherine Pelletier? À la demande du saint frère, il a réellement essayé de sortir son beau-frère du pétrin. Le 28 février 1685, il s’oblige à payer la somme de 210 livres à Charles Aubert de La Chesnaye, argent qu’il avait d’abord emprunté au curé desservant Sainte-Anne, Louis Soumande. Nicolas lui remboursera la moitié de ce montant à la Toussaint prochaine et l’autre moitié à la Toussaint de l’année suivante et affecte en garantie dudit paiement «tout ce qui pourrait lui appartenir de la succession de défunte Catherine Vannier sa belle-mère, décédée en mars 1684».

Effectivement, Nicolas vend, pour le prix de 175 livres, le quart de la terre qui lui revient de la succession. Ça ne plaît pas à Guillaume «ce à quoi ledit Morel ne songeait point», mais Didace l’a demandé. L’un voit sa dette réduite, tandis que l’autre agrandit une ferme qu’il contrôle de toute façon, tout en se retrouvant avec l’entièreté de la dette de 210 livres.

Tout porte à croire, comme on l’a dit ci-dessus, que, malgré les saisies et grâce aux petites sommes qu’ils réussissent à remettre,  les Cliche vivent toujours dans la maison de la côte de la Montagne. 

Le dernier contrat qui le concerne directement date du 21 avril 1686. Il admet devoir à Martin Prévost, de la côte de Beauport, la somme de dix-sept livres cinq sols sur une plus grande somme pour marchandises prêtées et livrées. Le notaire, Claude Auber, le qualifie de maître serrurier et bourgeois de la ville de Québec. Les deux témoins sont des amis fidèles, Nicolas Gauvreau et Claude Chasle.



La famille


Nicolas Cliche et Marie-Madeleine Pelletier ne seront que douze ans en ménage, du 13 octobre 1675 au 23 décembre 1687. La durée de leur union est dans la moyenne de l’époque, soit de dix à vingt ans, au maximum.

Dans ce laps de temps, Marie-Madeleine met au monde sept enfants, dont six vivront plus de dix ans. Les trois premiers, Nicolas (1676), Jean-François (1678) et René (1680), voient le jour sur la rue Notre-Dame et les quatre autres, la fille unique qui porte le prénom de sa mère, Marie-Madeleine (1681), Claude (1683), Vincent (1685) et Nicolas-Lucien (1687), dans leur propriété de la Côte-de-la-Montagne. Ils ont tous été baptisés dans la paroisse Notre-Dame et dans l’église du même nom, basilique-cathédrale de Québec, sur la rue Buade.

Le recenseur qui visite les Cliche vers mars 1681, les enregistre sous le patronyme Queliche. Le nom semble difficile à saisir parce qu’il est souvent orthographié Clisse et parfois Claiche, par les greffiers et les notaires. Les âges des quatre enfants sont corrects, par contre, Nicolas s’est rajeuni de huit ans (28 ans au lieu de 36 ans) et Marie-Madeleine de plus de 2 ans (20 ans au lieu de 22 ans et 4 mois). Au recensement de 1681, l’administration dénombre les armes à feu, les bêtes à cornes et le nombre d’arpents de terre en valeur. Nicolas Cliche déclare un fusil; Nicolas Rousselot, le voisin, un fusil, deux pistolets et 6 arpents en valeur.

Nicolas et Marie-Madeleine auraient de bonnes raisons de se réjouir et de célébrer leur dixième anniversaire de mariage, en octobre 1685, car les six enfants nés jusqu’à ce jour sont tous vivants et tourbillonnent dans le foyer. Les âges varient de 1 an à 9 ans.

Cependant la grande faucheuse rôdait sur la colline. Elle élimine en un an tous les Nicolas de la famille. Elle vient d’abord chercher, l’aîné des enfants, Nicolas, le 7 novembre 1686. Il avait fêté ses dix ans, un mois auparavant. Huit mois plus tard, le 24 juillet 1687, elle ne laisse que 17 jours d’existence au poupon, Nicolas-Lucien. Insatiable, elle frappe Nicolas, la souche, le pionnier et l’ancêtre des Cliche d’Amérique, le 23 décembre 1687. Il avait 42 ans. La cérémonie des funérailles s’est déroulée dans la cathédrale de la paroisse Notre-Dame de Québec. Il est probable qu’il a été parmi les derniers à être inhumé dans le premier cimetière de Québec, «le terrain triangulaire qu’on voit, à droite de la côte de la Montagne». «Il fut le champ des morts de Québec jusqu’en 1688».

Désormais Marie-Madeleine Pelletier, mère et tutrice, doit réorganiser la vie familiale pour subvenir aux besoins de cinq enfants en bas âge : Jean-François (9 ans), René (8 ans), Marie-Madeleine (6 ans), Claude (4 ans) et Vincent (2 ans). Les trois derniers prendront racines pour assurer la postérité du couple Cliche-Pelletier et la prospérité du patronyme Cliche.

Nicolas Cliche n’aurait sans doute jamais pensé que son nom passerait à l’histoire et que trois siècles et demi plus tard des milliers de descendants honoreraient sa mémoire. Son exploit vient justement des 20 000, 30 000, 40 000 Nord-Américains qui le retrouvent dans leur arbre généalogique. Il ne pourra jamais être oublié!

ACTE D'INHUMATION DE NICOLAS CLICHE
inhumation
Le vingt troisième jour de décembre, de
l’an mil six cent quatre vingt sept, a été
inhumé par moy François Dupré, curé de
Québec, au cimetière, Nicolas Cliche, serrurier,
après avoir reçu les ss.[saints sacrements] de pénitence,
viatique et extrême onction et ont assisté à son
inhumation toussaint du baus et Joseph Pinguet
qui ont signé.
toussaint      dubau      joseph pinguet
françois Dupré




Marie-Madeleine Pelletier : un nouveau foyer

1– CHEF DE FAMILLE

– Les locations

Qu’est-ce qui attend la famille après le trépas du chef de la communauté ? Marie-Madeleine hérite d’une maison hypothéquée et d’une situation financière précaire, avec cinq enfants sur les bras. Elle prend rapidement des mesures pour s’assurer des entrées d’argent. Curieusement, les biens immobiliers qui ont perturbé leur vie serviront de monnaie d’échange, autant durant la période de veuvage que celle du remariage.

Trois semaines après la disparition de Nicolas, le 17 janvier 1688, elle loue l’emplacement, la maison et la boutique attenante, situés «sur la rue montant de la basse à la haute ville», à Jeanne Badeau, pour son fils mineur, Joseph Parent, qui ne peut contracter à cause de sa minorité. Marie-Madeleine se réserve dix pieds dans la cave sur toute sa profondeur où elle fera une cloison, une chambre, et l’accès à la fontaine. Elles s’entendent pour le prix de 160 livres par année pour une durée de trois ans. Elle ne touche pas à cet argent. Il est réparti entre les créanciers : dix livres aux pères Jésuites, un autre dix livres à une personne non déchiffrée et le surplus au sieur Charles Auber de La Chesnaye, présent, et signataire du contrat qu’il approuve.

Quatre jours plus tard, le 21 janvier, elle va chercher un montant de cinquante livres, en louant les outils de son époux. Elle transige dans tous les contrats en tant que mère et tutrice naturelle des enfants du défunt.

La résidence des Cliche est bien située et probablement très convenable parce qu’elle trouve facilement preneur. Tous les baux sont de trois ans consécutifs, au tarif de 120 livres, à l’exception du premier dont la durée de location fut moindre que prévue et le coût plus élevé parce qu’il comprenait l’atelier. Le bail du 7 juin 1690 à Julien Boissy dit la Grillade, pâtissier, permet de se faire une bonne idée du logis. Il comprend une chambre à feu, qui sert peut-être de cuisine, trois petites chambres, une cave et un grenier, sans compter la cour, close par des pieux, le jardin, la fontaine et la boutique. Est-ce que la chambre basse, qu’elle se réserve, fait partie des appartements décrits ? On ne peut répondre. Les réparations dominent ce contrat. Elle tient à garder le bâtiment dans un bon état. Le locataire se charge des réparations et  de l’ajout de commodités : «un four suivant la place propre pour iceluy dans la maison […], trois contrevents avec croisettes, une porte à la cave avec serrure et verrou, et une trape pour ladite cave». La cheminée servant de forge sera réparée par Joseph Parent, le locataire précédent.

Les enfants ne font pas partie du décor pendant les trois ans de célibat de leur mère, à part les mentions qu’ils existent dans les contrats. Des indices permettent cependant de reconstituer des bribes de la vie familiale. Elle séjourne assez souvent à Sainte-Anne chez son père dans la soixantaine et chez sa sœur.

Il est difficilement imaginable qu’une famille de six personnes vive dans la chambre qui lui sert de logement à Québec. Elle se dit de Sainte-Anne lorsque des problèmes de santé l’amènent à l’Hôtel-Dieu de Québec, en juin et juillet 1690, quelques mois avant le deuxième mariage. Même après avoir pris mari, elle semble faire la navette entre le lieu de pèlerinage et Québec.

 À sa troisième hospitalisation, le 28 février 1694, elle s’enregistre de Sainte-Anne. Elle se trouve au même endroit, le 2 et le 28 août 1695, pour jouer le rôle de marraine de Marie-Angélique Morel, fille du deuxième lit de Guillaume, et de Louise Racine, mais les actes indiquent Québec comme lieu de résidence.

La calligraphie des signatures des quatre garçons et un texte destiné à l’un deux, Claude Cliche, démontrent non seulement qu’ils savent signer, mais que des fils de Nicolas maîtrisent l’écriture et la lecture. Ils ont donc fréquenté ou fait des séjours dans une école ou une institution. Peuvent-ils être allés au collège des Jésuites, qui donne un enseignement plus général que le Séminaire et le couvent des Récollets qui se consacrent à la formation de religieux ? Rien n’est certain ; mais comme les Jésuites ont aidé leurs parents et qu’un des fils de Claude Cliche, Claude comme son père, y étudiera, les probabilités sont plus fortes du côté des disciples de Saint Ignace de Loyola. Il y en a au moins deux qui apprendront des métiers.

2– «Une assurance sur la vie»

Marie-Madeleine se cherche un compagnon car les conditions de vie de l’époque ne laissent pas le choix. «Sitôt que le mariage est rompu par la mort d’un des conjoints, on cherche à se remarier, car il est difficile à pourvoir à sa subsistance et à celle des enfants sans un nouveau compagnon ou une nouvelle compagne […]. Le mariage est considéré comme une assurance sur la vie : quatre bras valent mieux que deux pour lutter contre les innombrables difficultés de la vie quotidienne».

Le «marché des femmes à marier» et son âge, 29 ans en 1688, la favorisent; par contre les cinq enfants à sa charge constituent le handicap. Le temps d’attente sera dans la moyenne de l’époque, puisqu’un chevalier mord à l’hameçon dans sa troisième année de veuvage. En effet, le 9 novembre 1690, elle passe un contrat de mariage avec Pierre Millet (Millier et Milliet), un Français baptisé le 1er septembre 1653 à Notre-Dame-de-Mirebeau, évêché de Poitiers, au Poitou, fils de Vincent, chapelier, et de Claude Perrin. Il est signalé en Nouvelle-France en 1687. Il habitait chez Jean Charron dit Laferrière, un familier des Cliche, parrain de leur premier enfant, peut-être à l’origine de la rencontre Millet-Pelletier.

Elle déclare devant le tabellion que la maison de la côte de la Montagne, hypothéquée aux créanciers du défunt, est le seul bien qui lui reste de la communauté créée par la première union. Le futur époux se dégage de cette dette «sans quoi il n’aurait fait ou contracté led. [ledit] mariage avec elle». Avec ces quelques mots, la balance penche vers un mariage d’intérêt ou de circonstance, même s’il affirme qu’advenant son décès dans l’ancienne France ou dans ce pays à quelque endroit qu’il puisse être situé, il lui cède tout ce qui peut lui appartenir pour «l’amour qu’il lui porte». Il se montre aussi généreux sur le douaire préfix, c’est-à-dire sur le montant négocié avant la passation du contrat de mariage. Il l’assure de 600 louis sur ses biens propres en cas de décès.



La fin de Marie-Madeleine Pelletier

Marie-Madeleine Pelletier, l’ancêtre maternelle des Cliche et d’une partie de la descendance Millet, rend l’âme le 2 ou 3 décembre 1701.

Huit enfants, cinq Cliche et trois Millet perdent une mère attentionnée qui leur a donné l’amour et l’éducation pour réussir leur vie. Elle a supporté ses deux maris, un dans ses absences et l’autre en l’aidant à passer à travers ses problèmes financiers et peut-être personnels. Quand il le fallait, elle a pris la relève dans plusieurs transactions qu’elle signe d’une écriture plus assurée que celle du contrat de mariage.

À moins d’une mort accidentelle, ou des suites évidentes d’un accouchement ou d’une épidémie, il est difficile de connaître les causes de la mort à 300 ans de distance. Pour Marie-Madeleine, ce peut être l’usure du temps malgré ses 43 ans, la maladie, la grossesse et l’accouchement d’Élisabeth-Geneviève dont elle ne s’est pas relevée, ou des suites tardives de l’épidémie de grippe de l’hiver 1700-1701 qui est venue chercher des personnes très en vue, comme l’ecclésiastique Henri de Bernières qui a baptisé au moins cinq enfants de Nicolas Cliche, Gervais Beaudoin, le médecin de l’Hôtel-Dieu, le notable Louis Rouer de Villeray, premier conseiller au Conseil Souverain, etc.

Moins de deux mois après le décès de Marie-Madeleine, une prétendante, Louise Pelletier, mord à l’hameçon de Pierre Millet. Le contrat se signe le 27 janvier 1702, mais le mariage n’aura pas lieu. Il ne lâche pas prise et il conquiert la veuve de Pierre Lefebvre, un matelot de Saint-Malo, en Bretagne, Marie Salois, qu’il épouse le lundi 20 novembre 1702 à Saint-Laurent, île d’Orléans. Quatre des huit enfants procréés par cette union se marieront.


ACTE D'INHUMATION DE MARIE-MADELEINE PELLETIER
inhumation M. Mad
Le quatrième jour du moy de decembre de l’an mil sept
cent un a été inhumée au cimetiere de cette paroisse par
moy pretre curé de quebec marie magdelaine  marie magdeleine pelletier
femme de millet
agee de quarante cinq ans ou environ apres avoir receu
les Sacrements de penitence viatique et extreme onction
en presence de Jean dubreuil, Jacques michelon et
autres témoins.
                                                                    François Dupré


 
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Annexe 1

L’ancêtre Nicolas parlait le « ch’ti »


NDLR: Né en 1645 dans le faubourg Saint-Jean de la ville de Saint-Quentin, en Picardie, Nicolas, l’ancêtre des Cliche d’Amérique, s’il parlait français, employait aussi, sans doute souvent, le patois picard. En effet, Saint-Quentin est bien enracinée dans le domaine linguistique picard (voir la carte ci-dessous ).  La langue picarde a connu son apogée au Moyen Âge, avant d’être peu à peu remplacée par le français. À l’époque de l’ancêtre Nicolas (milieu du 17e siècle) le picard était devenu un patois. Mais le picard, comme langue à part entière, a toujours eu ses défenseurs. Et,  avec la sortie sur les écrans en 2008 du film français Bienvenue chez les Ch’tis, le picard a retrouvé en quelque sorte ses lettres de noblesse.



L’histoire de la langue picarde

Le picard et le français partagent des origines communes, au sein d’un groupe de langues apparentées, généralement dénommées « langues d’oïl », parlées dans la France du Nord : ces langues ont évolué à partir du latin populaire amené par les légions romaines et adopté par les habitants de la Gaule, puis, à partir du 5e siècle, sous l’influence des parlers germaniques des envahisseurs francs.

Le chanteur belge Julos Beaucarne disait que « le wallon est du latin venu à pied du fond des âges ». On pourrait en dire autant du picard… et aussi du français ; simplement, chacune de ces langues a emprunté un chemin légèrement différent ! Peut-être - hypothèse purement gratuite - celui du picard débute-t-il dans la manière particulière dont « nos ancêtres les Belges »  ( les Gaulois du Nord ) prononçaient le latin des occupants, sans doute aussi a-t-il subi une influence plus forte des parlers germaniques (au Nord de la Somme, les Francs sont arrivés plus tôt et en plus grand nombre que vers le Sud, là où on parle « français » et d’autres langues d’oïl ).
Les échanges avec le flamand, tout proche, sont encore sensibles dans le vocabulaire et la syntaxe du picard, bien qu’il ne faille pas exagérer outre mesure leur influence.

L’un des tout premiers textes en « langue vulgaire » du Nord de la France, la Séquence de Sainte Eulalie, écrit à la fin du 9e siècle dans la région de Saint-Amand, comporte déjà des traces de picard : on y trouve des mots comme coze « chose », diaule « diable », encore utilisés de nos jours dans les conversations en « patois ». L’histoire de la littérature picarde a donc commencé il y a onze siècles !

Elle fleurit ensuite entre les 12e et 14e siècles : au Moyen Âge, des écrivains prestigieux comme les Arrageois Adam de la Halle et Jean Bodel, ou, en Picardie, Jacques d’Amiens ou Robert de Clari, écrivent en picard. Plus exactement, ils utilisent une écriture hybride franco-picarde, mélange d’ « ancien français » et de dialectalismes régionaux.

Il en est ainsi dans toutes les régions du Nord de la France mais l’écriture picarde jouit au Moyen Âge d’une popularité qui dépasse les limites de son domaine linguistique, ce qui permet à des linguistes comme Henriette Walter de parler d’une « exception picarde » : c’était la grande langue de littérature du Nord de la France, comme le provençal était celle du Sud. Dans le même temps, les textes juridiques de l’époque (en particulier les Chartes) font un usage abondant de cette écriture picarde.

Néanmoins, le picard n’apparaît plus guère dans les textes après le 15e siècle, après s’être quasiment dilué dans le français standard ; il   perd alors toute légitimité comme langue de littérature.

Cela ne signifie pas pour autant qu’il disparaît de l’écrit : mais les œuvres  qui sont composées en picard à partir du 17e siècle le sont dans un but de transgression, pour marquer la complicité avec le lecteur, et surtout pour faire rire. Il y a eu une rupture, on est entré dans une nouvelle période, celle de la littérature « patoisante », telle qu’elle perdure encore de nos jours.

Du coup, ce qu’il perd en légitimité, le picard le gagne en authenticité et en « pureté » : désormais, on écrit en picard pour ne pas écrire en français (alors qu’au Moyen Âge on écrivait en picard en croyant écrire en français...), on « en rajoute », en quelque sorte, sur les différences avec la langue nationale, et c’est ainsi que se constitue véritablement le picard moderne comme langue littéraire.

SOURCES:  © A. Dawson, 2002

Origine du mot « ch’ti »

Le mot « ch’ti » ou « ch’timi » a été inventé durant la Première Guerre mondiale par des soldats qui n’étaient pas de la région et qui désignaient ainsi leurs camarades originaires du Nord de la France. Ce mot a été créé à partir des mots « ch’est ti, ch’est mi » ( « c’est toi, c’est moi » ).






Le picard est une langue régionale (au sens de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires) parlée en France dans les régions Picardie et Nord - Pas de Calais, et en Belgique dans la province du Hainaut. Dans le Nord - Pas de Calais, il est souvent appelé improprement « patois de Nord » ou « Chtimi », et « Rouchi » dans la région de Valenciennes. En France, le picard est recensé dans le rapport Les langues de la France du professeur Bernard Cerquiglini, remis aux ministres de la Culture et de l’Éducation nationale en mai 1999. En Belgique, il constitue l’une des langues régionales endogènes visées par un décret de la Communauté Française de Belgique de 1990.










Quelques mots et expressions du parler picard

Le lexique picard est riche d’un grand nombre de mots originaux, ou qui paraissent tels. En fait, soit il s’agit de vieux mots français, d’étymologie parfaitement latine, éventuellement modifiés par le phonétisme régional ; soit il s’agit effectivement de termes originaux, d’étymologie germanique. Voici quelques exemples typiques :
1) Mots anciens
* ouvrer = travailler (de *operare ; famille : un ouvrage, les jours ouvrables, une oeuvre, etc.)  «J’m’in va ouvrer dins ch’gardin !».
* L’huis, c’est la porte (de ostium > ustium), comme dans les huisseries, ou l’huissier.
* des glaines = des poules, du latin gallina ; en ancien français : geline, galine, gline = poule ; la gélinotte est une poule des bois, dont le mâle est le coq... des marais.
* Un leu est un loup ; c’est la forme normale issue de lupus; on trouve encore à la queue leu leu, comme les loups l’un derrière l’autre.
2) Expressions typiques
▪ Ferme eut’bouque tin nez i vô queire éd’dins ! : Ferme ta bouche ton nez va tomber dedans ! → Reprends-toi, fais quelque chose !
▪ I’n’faut pas qu’ches glaines i cantent pus fort que’ch’co ! : Il ne faut pas que les poules chantent plus fort que le coq ! → Le mari ne doit pas se faire mener par son épouse.
▪ Té peux toudis chiffler poupoule ! : Tu peux toujours siffler après une poule ! → Tu peux toujours courir.
▪ I’mint comme un arracheux d’dints ! : Il ment comme un arracheur de dents ! → Mentir pour rassurer.
▪ Té veux m’l’intiquer pa’ch’gros bout ! : Tu veux l’introduire par l’extrémité la plus large ! → Tu veux me faire croire des choses !
▪ Té veux m’faire craquer d’z’allumettes dins l’iau ! : Tu veux me faire craquer des allumettes dans l’eau ! → Tu veux me faire croire à des choses invraisemblables !
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Annexe 2

1687: une année tragique pour la famille Cliche et la Nouvelle-France

Plus d’un millier de décès causés par une épidémie de variole



NDLR: Les années 1686 et 1687 furent très éprouvantes pour la famille Cliche, particulièrement celle de 1687 qui vit la disparition de deux de ses membres, dont l’ancêtre Nicolas.
Mais cette même année 1687 fut également tragique pour Québec et toute la colonie, frappées par une épidémie de variole. Dans l’ensemble de  la colonie, qui comptait 10 300 habitants, on dénombra 1 400 morts.
Ce n’était pas la première épidémie qui faisait des ravages en Nouvelle-France. En effet huit épidémies s’étaient abattues sur Québec entre 1639 et 1685, mais celle de 1687 les dépassa toutes par son ampleur.
Le plus souvent, les maladies se répandaient après l’arrivée d’un navire comportant des membres d’équipage ou des passagers malades.
On comprend facilement la cause de ces épidémies: la traversée de l’Atlantique durait quarante jours en moyenne; les passagers et l’équipage étaient entassés dans un espace confiné; l’hygiène était réduite à sa plus simple expression.
Sur terre, c’est aussi le manque d’hygiène, les conditions d’insalubrité et les mauvaises conditions de logement qui expliquent les énormes dommages causés par les maladies épidémiques de l’époque. Le système d’évacuation des eaux usées était vraiment rudimentaire. L’élimination des déchets et des carcasses d’animaux morts n’existait pas. De plus, personne ne se souciait de la pollution. Toutes les conditions étaient ainsi réunies pour qu’une maladie contagieuse suffisamment motivée puisse se propager comme une traînée de poudre.
Dans le cas de l’épidémie de variole de 1687, ce sont les navires qui amenaient des soldats des
Compagnies franches de la Marine qui en furent la cause.


L’épidémie de 1687

L’épidémie, qui frappa lourdement la colonie au cours de l’hiver 1687-1688, en était-elle une de rougeole ou de variole ? Certains historiens emploient le terme de rougeole, mais la plupart parlent plutôt de variole. La raison qui laisse supposer une épidémie de variole est le fait que la rougeole est une maladie qui s’attaque essentiellement aux jeunes enfants. Sur les quatre bateaux, qui transportaient les troupes des Régiments francs de la Marine en 1687, il n’y avait pas d’enfants. Par contre, la variole ( aussi appelée petite vérole ) est une maladie infectieuse très contagieuse et épidémique, qui s’attaque tant aux enfants qu’aux adultes. Le pronostic de la variole est grave, mortel dans 15% des cas. Une campagne mondiale de vaccination systématique a été développée et, en 1978, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a déclaré que la variole était éradiquée dans le monde entier.

Une chose est certaine: elle fut importée par les 800 soldats des Compagnies franches de la Marine, qui avaient quitté la France le 26 avril 1687, à bord de 4 vaisseaux du roi,  L’Arc-en-Ciel, un navire de 4e rang, La Friponne, une frégate, La Profonde et Le Fourgon, des flûtes, Le recrutement de ces soldats s’était réalisé aux alentours de Rochefort, Nantes, du Havre et de Rouen.

La traversée s’était effectuée en 33 jours, un temps record pour l’époque. Bien que les conditions de vie et d’hygiène aient été grandement améliorées par rapport à 1685, une épidémie  se propagea; 17 passagers moururent au cours du voyage et 170 en furent infectés. Le plus souvent, la maladie se répandait après l’arrivée des navires. On transportait ces malades à l’Hôtel-Dieu, dont les capacités ne suffisaient guère. Alors, pour combattre une épidémie on construisait des bâtiments temporaires ou on louait des maisons en ville pour y loger les malades convalescents ou souffrant de maladies moins graves, comme la fièvre des navires.

Sur les 170 soldats et matelots atteints de la variole qui débarquèrent à Québec en 1687, seulement 14 furent hospitalisés à leur arrivée à Québec. Par contre, les autres hommes infectés se sont mêlés aux  habitants de la colonie, créant ainsi une des plus grandes épidémies de la Nouvelle-France. Elle se propagea à travers toute la colonie; elle fit, comme nous l’avons déjà mentionné, 1 400 morts

L’ancêtre Nicolas est-il mort de la variole ?

C’est durant cette période que l’ancêtre Nicolas est décédé, Il a été inhumé le 23 décembre 1687. Son décès est donc survenu quelques jours plus tôt. A-t-il été l’une des victimes de l’épidémie de variole ? Son acte d’inhumation ne le mentionne pas.

Notre ancêtre avait 42 ans lorqu’il décéda. C’était encore relativement jeune pour l’époque. En effet, dans la colonie, les indices généraux de mortalité  restaient inférieurs à ceux de la mère-patrie. Même si l’espérance de vie moyenne de l’époque ne dépasse pas 40 ans (à cause d’une mortalité infantile très élevée, deux enfants sur cinq n’atteignant pas l’âge de 15 ans), il n’est pas rare de vivre jusqu’à 60 ou 70 ans et l’on trouve des vieillards qui dépassent les 80 ans, voire quelques centenaires.

Les démographes attribuent cette situation à diverses raisons. La population initiale aurait constitué un groupe particulier. L’éloignement de la Nouvelle-France du vieux continent (l’Europe), les rigueurs et les risques de la traversée de l’océan Atlantique auraient éloigné de l’aventure coloniale les personnes handicapées ou qui ne jouissaient pas d’une excellente santé. La traversée elle-même et les épidémies auraient à leur tour éliminé les plus faibles. Ce groupe, sélectionné de façon naturelle au départ, aurait en outre joui d’un environnement favorable. L’occupation du territoire, caractérisée par la faible densité de sa population, aurait limité la propagation des épidémies. Si l’on ajoute à cela la salubrité du milieu, l’abondance de la nourriture et l’atténuation des menaces guerrières, l’on peut comprendre que la vie dans la colonie bénéficiait d’un contexte favorable.

Devant ces faits, l’ancêtre Nicolas n’est pas décédé « de vieillesse ». Il pouvait espérer avoir encore de nombreuses années devant lui. Ce ne peut donc être qu’une cause extérieure qui ait causé son décès. Et au début de l’hiver 1687 - 1688, il y avait l’épidémie de variole qui sévissait à Québec. D’ailleurs, les registres nous indiquent que plusieurs autres chefs de familles souches du Québec sont décédés de l’épidémie de variole et/ou rougeole de 1687.

Ainsi, le 10 août 1687, Pierre Gagnon, l’époux de Barbe Fortin et l’un des ancêtres d’une branche des familles Gagnon, est inhumé à Sainte-Anne de Beaupré, victime de l’épidémie.
Également, Claude Poulin, l’ancêtre des familles Poulin, Paulin, Poullain et Poulain, est mort le 17 décembre 1687 à Sainte-Anne de Beaupré à l’âge de 71 ans. Son acte de sépulture paraît dans les registres à la date du 19 décembre 1687. Sa femme Jeanne Mercier décédée depuis quelques jours avait été inhumée le 14 décembre 1687. Leur décès à quelques jours d’intervalle s’explique par le fait que tous deux sont morts de l’épidémie sévissant à ce moment-là.
De même, Damien Bérubé, l’ancêtre des familles Bérubé, décède le 7 mars 1688, suivi le lendemain par deux de ses filles, Thérèse et Marie, dans des circonstances encore inconnues. Ils pourraient également avoir été victimes de l’épidémie de variole qui a décimé la Nouvelle-France cette année-là. Damien avait alors 41 ans.

Comme on le voit, avec ses 1 400 morts, l’épidémie de 1687 a touché de nombreuses familles souches du Québec, en plus de la famille Cliche.

Enfin, une dernière question. L’ancêtre Nicolas est-il décédé à l’hôpital ou dans sa maison qu’il avait fait construire en 1680, Côte-de-la-Montagne ?
L’Hôtel-Dieu de Québec, fondé en 1639, est le seul hôpital existant du temps de Nicolas, mais les registres de cet établissement ne débutent qu’en 1689, soit un an après la mort de Nicolas. On ne peut donc savoir s’il y est mort.
D’ailleurs avec l’ampleur de l’épidémie de 1687, il devait être assez difficile de se faire hospitaliser. « Les salles d’urgence devaient déborder», comme on dit aujourd’hui.
L’un des médecins, qui pratiquait à Québec en 1687, s’appelait Gervais Beaudoin. Il avait (ou aura) sa maison sur la Côte-de-la-Montagne à l’angle de l’escalier dit «Casse-Cou», qui mène à la rue Petit- Champlain. Il est donc vraisemblable que ce médecin assista l’ancêtre Nicolas dans les derniers moments de sa vie.
Ce médecin, qui incidemment est décédé le même jour de la même année que notre ancêtre maternelle Marie-Madeleine Pelletier, soit le 4 décembre 1701, gardait-il des registres des causes de la mort de ses patients ?  Pour le moment, rien n’indique l’existence de tels documents. Voilà un excellent objet de recherche pour les années à venir !

L’ancêtre Nicolas serait parmi les dernières personnes à avoir été inhumé dans le premier cimetière de Québec,
situé Côte-de-la-Montagne, en face de sa maison.


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